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mardi 29 septembre 2009

Amos Oz, Ailleurs peut-être

Amos Oz, Ailleurs peut-être, Saint-Amand Montrond : Gallimard, 2006 [1966], traduit de l’hébreu par Judith Kauffman, préface de Marc Saporta, titre original Maqome Aher (מקום אחר), 443pp.




C’est le premier roman d’Amos Oz, celui qui l’a révélé au public et l’a fait entrer dans le monde de la littérature mondiale. Mais le sujet est bien sûr pleinement le kibboutz. C’est un premier essai sur le kibboutz avant de revenir sur le kibboutz, le kibboutz, et encore le kibboutz. La préface de Marc Saporta, destinée au public français, fait le point sur ce qu’est un kibboutz. On en trouvera aussi une petite histoire ici : http://www.un-echo-israel.net/Histoire-le-Kibboutz.





Il est toujours passionnant de se plonger dans la description d’un univers, avec plus de 40 ans de retard. Publié par Amos Oz en 1966, il y décrit la vie au kibboutz en son temps, soit dans les années 60. Beaucoup de ses livres d’ailleurs retiennent cette période. Le kibboutz a dès lors près de 60 ans puisque le premier d’entre eux, Degania, fut créé en 1909. Mais dans les années 60 il n’est déjà plus au mieux de sa forme, les difficultés économiques, et surtout idéologiques, commencent déjà. Toute l’œuvre d’Amos Oz en est sans doute le meilleur témoignage qui soit. On se référera par exemple à notre analyse d’Un juste repos, autre roman de l’écrivain. Le kibboutz des années 60 n’est donc plus ce qu’il était dans les 20 ou 30, et aujourd’hui il est encore autre chose. Mais peu importe. Pour le plaisir de la littérature et pour le plaisir de découvrir ou d’approfondir l’étude d’un micromilieu israélien à une certaine période, Ailleurs peut-être est au rendez-vous. Et bien ici, pas ailleurs.






Amos Oz nous présente donc tous ces amis imaginaires du kibboutz Metsoudat-Ram : Reouven Harich et ses deux enfants, Gaï et Noga ; Ezra Berger, sa femme Bronka, puis les deux frères d’Ezra qui viennent soudainement lui rendre visite au kibboutz, Zakharia-Siegfried (venu d’Allemagne) et Nehemia ; mais aussi Rami, Herbert Ségal, Oren, Herzl Goldring ou encore Frouma, et j’en passe. Tout ce petit monde constitue la communauté du kibboutz. On apprend petit à petit à les connaître même si, bien sûr, certains marquent plus nos esprits tout comme celui du narrateur. Vie en commun, pensées personnelles voire profondes, philosophiques, talmudiques, ainsi que passion : tout est au rendez-vous. Moins idéologique que d’autres Amos Oz, on s’amuse néanmoins avec les poèmes de Reouven et les phrases bibliques d’Ezra. On constate avec moins d’amusement peut-être, mais beaucoup d’intérêt dans la lecture, la vie des deux hommes, plus triste sans doute et surtout peu conforme à la moralité du kibboutz. Loin d’être une société permissive, tout au contraire société incarnant et revendiquant des valeurs de respect de l’autre et de vie en commun, néanmoins en confrontant les hommes et les femmes dans un petit lieu, à toutes les occasions, le kibboutz n’échappe pas à quelques recoupements des plus curieux. Surtout sur le plan amoureux et sexuel. Aussi Reouven a vu sa femme Eva le quitter pour un proche cousin, Yitshak Hamburger, retourné en Allemagne et associé de Siegfried Zakharia, le frère d’Ezra. Mais en dix mois à peine, Bronka la femme d’Ezra, le trompe lui aussi, pour Reouven. Sans pour autant provoquer bagarres ou insultes. Mais les choses se compliquent encore lorsque, sans esprit de revanche pourtant, Ezra est séduit par Noga, la fille de Reouven. Celle que Rami, appelé au service militaire, et de sa génération pourtant, lui croyait destinée. Et les choses s’enveniment encore. Mais sans grossièreté ni vulgarité sexuelle. Comme dans ses autres romans et en commun avec son confrère Avraham B. Yehoshua, Amos Oz sait parfaitement exploiter la sensualité et l’attirance des humains les uns envers les autres pour créer un environnement social particulier qui, quoiqu’on en dise, plaît au lecteur. Comme son confrère aussi, il excelle dans le roman réaliste de la vie. C’est-à-dire qui ne raconte rien, ou presque, sauf la vie des uns et des autres. Et on est charmé !

Un défaut peut-être : à force de varier les descriptions des membres du kibboutz, de leur vie et de leurs habitudes, on est parfois enclin à laisser son regard glisser sur les lettres avec l’impression de ne pas manquer grand-chose, n’y voyant que des détails sur des membres secondaires pour l’histoire. Mais on se réveille tout de même très vite. Ce n’est peut-être pas le meilleur Amos Oz, mais on comprend pourquoi ce fut un début reconnu.

mercredi 23 septembre 2009

Avraham B. Yehoshua, Monsieur Mani


Avraham B. Yehoshua, Monsieur Mani, Paris : Calmann-Lévy, 1992 [1990], traduit de l’hébreu par Arlette Pierrot



C’est une autre figure de style que nous livre ici Avraham B. Yehoshua. Habitué des jeux littéraires, l’auteur part ici d’un kibboutz du Néguev, au sud d’Israël, en 1982, puis s’en éloigne. Dans l’espace et dans le temps. Mais à l’envers. L’originalité de ce roman consiste en une histoire familiale, la famille Mani, de nos jours à ses débuts. De Roni Mani (1983 - ---) notre contemporain qui vit à Mashavei-Sadé, un kibboutz dans le Néguev, jusqu’à Eliyahu Mani (1740-1807), Yosef Mani (1776-1820) et Abraham Mani (1799-1861), les ancêtres juifs de Salonique, on suit à reculons l’histoire de cette famille. D’un Mani on passe à un Mani et encore à un autre Mani, de Grèce ottomane à la Pologne d’antan puis de la Jérusalem britannique à la Crète allemande et jusqu’en Israël. Comme dans L’incirconcis d’Israël Lichtenstein avec la famille des François Robert, on remonte le temps et la micro-histoire d’une famille juive. Mais Avraham B Yehoshua fait là dans le grand et c’est sûrement ce qui lui a valu le prix de la littérature israélienne pour ce livre à sa sortie. On voyage en effet à travers toute l’Europe et le Moyen-Orient à travers toutes les époques modernes et contemporaines. Et autre figure dans son écriture, l’auteur ne nous retranscrit qu’un monologue à chaque fois. Le livre est divisé en cinq conversations : à Mashavei-Sadé en 1982, à Iraklion en 1944, à Jérusalem en 1918, à Jelleny-Szad près de Cracovie en Pologne, puis à Athènes en 1848. Mais dans chaque conversation nous sont présentés avant tout les interlocuteurs du narrateur, leur famille et leur histoire personnelle, avant d’entrer dans le sujet… puis leurs répliques manquent, sont absentes.

Le livre est bien entendu bien écrit chez un auteur de cette trempe, le thème et les figures sont bien sûr originaux. A partir de là, on a envie d’en savoir plus. Un seul conseil : accrochez-vous ! Gros de 408 pages en grand format, rempli de personnages présents mais muets pour la beauté de l’écrit, constitué de monologues dont il faut parfois deviner le narrateur, ne pensez pas lire ce livre entre chaque page de pub, dans une réunion de famille ou en attendant que l’eau finisse de bouillir. Si vous ne pouvez pas vous concentrer, vous n’y comprendrez rien ! Le reste se lit aisément : une réflexion sur les transmissions entre père et fils, sur leurs rapports, bref une histoire de famille !